L'Irak : berceau de la civilisation et de l'Ecriture
Dans le monde qui nous entoure, où l’usage de l’écriture est universel, on trouve en somme « naturel » un tel usage et nul ne se demande d’emblée comment et quand il aurait pu inaugurer ! L'Écriture nous apparaît comme un élément aussi indispensable à notre vie que le feu, l’outil ou le langage, et il nous ne vient pas facilement à l’idée qu’elle ait jamais pu être absente de notre passé.
Pourtant si l’on remonte un peu haut dans le temps et si l’on se transporte un peu plus loin dans l’espace, on ne met guère à s’aviser que le plus grand nombre des centaines de langues parlées entre les hommes, n’ont jamais été écrites ; même si de nos jours beaucoup d’entre elles ont subi à la fin une alphabétisation tout à fait allogène - c’est-à- dire d’origine différente de la population existante, comme le Turc, le Persan ou le Swahili plus récemment.
L'Écriture n’est donc pas « naturelle». C’est un fait de civilisation et c’est originairement le fait d’un nombre fort réduit de civilisations. Voilà pourquoi en dépit de la prodigieuse disparité de leurs formes, toutes les écritures contemporaines se ramènent en fait en deux ou trois modèles et peut-être encore moins.
C’est en effet dans la partie inférieure de l’Irak actuel, entre Bagdad et Bassora aux alentours de 3700 ans avant Jésus-Christ que s’est apparu pour la première fois au monde un procédé calculé pour s’extérioriser et fixer tout ce que le langage peut exprimer de la pensée humaine.
L'Écriture est d’abord un fait de civilisation mésopotamienne. Elle y est profondément insérée tout d’abord
Par ses motivations et
Par son matériel.
Le besoin même d’un pareil procédé est né de l’un des paramètres de cette civilisation. Fondée sur l’agriculture céréalière intensive et l’élevage en grand du menu bétail, le tout entre les mains d’un pouvoir centralisé, elle s’est rapidement empêtrée dans une économie tentaculaire, qui rendait inévitable le contrôle méticuleux des mouvements financiers et commerciaux.
On aurait pourtant tort de s’en tenir là, considérant en sommes cette invention de l'Écriture, pour général qu’on la tienne, comme un simple accident de parcours, une commodité nouvellement acquise, un gadget pour améliorer l’existence, alors qu’il s’agit bel et bien d’une innovation révolutionnaire. Passer de la tradition orale à la tradition écrite, ce n’est pas seulement changer le mode de la communication entre les hommes, c’est transformer fondamentalement la propre qualité de ces messages, la façon de les voir, de les recevoir, la manière de les penser.
Tout message écrit devient par le fait même, indépendant de celui qui l’émet : quiconque le lit le tient désormais à sa disposition, non plus seulement le temps de l’entendre, mais autant qu’il le veut, puisqu’il peut le relire et le méditer à son aise. Ce message est désormais fixé, ce qui lui confère tout ensemble, outre la durée, une densité considérable. Plus de clarté aussi : ses éléments, les mots sont clairement découpés, leur ordre et leur relations mutuelles sont permutables, interchangeables, ils peuvent se prêter à des combinaisons nouvelles à des trouvailles purement mentales. Les mots prennent la place des choses, ils sont plus maniables, mais aussi ils sont plus universels, plus dégagés de l’individualité et de la matérialité. Un nouveau type d’activité intellectuelle peut désormais se développer autour d’eux fondée sur l’analyse, l’abstraction, le raisonnement et la déduction.
En outre cette accumulation d’expérience et de progrès de quiconque réfléchit à son tour et couche par écrit ses trouvailles peuvent être fixés, mis à la disposition de tous, transmis au loin ; et la tradition d’un côté, le savoir de l’autre peuvent ainsi tout à la fois se propager et progresser beaucoup plus vite et beaucoup plus sûrement.
Cette révolution ne s’est pas achevée en un jour ! Elle s’était faite d’abord à l’avantage d’une certaine catégorie de la société. Celle de l’Expert des Écritures Le maniement de celle ci terriblement compliqué, avec ses centaines de signes presque tous polyvalents, nécessitait pour s’y accommoder des années d’apprentissage. Écrire et lire était une véritable profession. Seuls les spécialistes pouvaient donc et utiliser cette technique et s’exposer plus immédiatement aux bouleversements qu’elle apportait à l’esprit et à ses progrès.
Dès le IIIème millénaire, nous constatons à la fois l’existence d’une production ‘littéraire’ et d’une traduction de ‘belles lettres’ et les premiers essais d’un véritable esprit ‘scientifique’ adapté à la rationalité du cru.
C’est même lui qui a donné à la mentalité des habitants de l'Irak, la Mésopotamie, telle que nous la connaissons, ses caractéristiques principales :
1) Une extraordinaire curiosité de savoir.
2) De tout examiner et de tout enregistrer, analyser, classer, ordonner, et comprendre l’univers tout entier.
3) Un ‘rationalisme’ que l’on est forcé d’admirer pour peu que l’on prenne contact avec tout ce qu’il a produit.
L'Écriture n’est pas seulement sortie du sein de l'Irak ou de la Mésopotamie, elle lui a conféré sa marque propre, son ampleur, sa profondeur, son originalité et sa force..
Elle lui a octroyé aussi sa durée et sa notoriété. Sur près de 3700 ans d’usage, elle y a donné lieu à une production écrite gigantesque, dont une partie infime mais à nos yeux considérable, le chiffre d’un demi million de pièces à été exhumé, peu à peu de cette vieille terre depuis 150 ans, qu’on la bouleverse de fouilles ininterrompues.
Grâce à leurs écrits, nous connaissons donc leur Histoire ‘évènementielle’ comme on dit à présent. Les noms et les séquences de leurs souverains, leurs dynasties, la durée respective de leur règnes, leurs vicissitudes et péripéties ; alternance de leurs centres de pouvoir, la mesure de leur puissance et de leur gloire, non seulement chez eux mais aussi sur le théâtre international et « depuis la mer inférieure, jusqu’à la mer supérieure », pour parler comme eux, autrement dit depuis le Golfe, aux confins de la méditerranée, Iran, Asie mineure, Irak, Palestine, Arabie orientale.
Nous connaissons leur système politique, leur organisation d’état, leur conception de la justice et les principes selon lesquels elle s’exerçait, depuis le recueil des décisions juridiques ou codes de lois, (Hammourabi) jusqu’aux comptes rendus de procès, tantôt tragiques, tantôt pittoresques.
Nous connaissons le monde surnaturel sous la mouvance duquel ils vivaient. Nous savons les noms, les pouvoirs et la hiérarchie de leurs dieux et de leurs déesses. Nous avons une idée de leur ‘théologie’ du comportement et des aventures de leurs divinités, des explications sur les origines et le sens de ce monde, d’eux-mêmes, de leur existence, de leur destin après la mort..
Nous avons des rituels de leur liturgie et de leurs fêtes, les textes de leurs hymnes, leurs psaumes et de leurs louanges.
Quant à ce que l’on peut appeler la vie intellectuelle, nous n’avons pas seulement d’eux des exercices d’écoles, mais des manuels, des listes de signes, de mots, de synonymes, de dictionnaires, parfois multilingues, des gloses et des commentaires. Nous avons aussi des encyclopédies tout à fait raisonnées et des recueils plus proprement scientifiques, de jurisprudence, de mathématiques et d'Astrologie, cette science qui leur permettait de conclure l’avenir à partir d’un certain nombre de phénomènes singuliers. Calculs d’astronomie, des traités médicaux de diagnostique et de pronostique, des recueils de pharmacologie et de thérapeutique. Nous avons des florilèges de proverbes, de conseils moraux et de fables. Nous avons même toute une littérature qui va de l’historiographie au roman, du tournoi littéraire au chant d’amour, du dialogue philosophique au conte bouffon et satirique.
De quel côté que l’on se retourne en Mésopotamie, l'Écriture est au centre même de la civilisation, comme chez nous, elle est au centre de la nôtre.
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